Les thés de vieux arbres du Nord-Vietnam
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Ta Xua, Lung Phin, Ha Giang : trois noms, une même montagne
Dans le nord du Vietnam, là où les routes se perdent dans la brume et où les pentes se dérobent au regard, poussent des théiers qui ne ressemblent à aucun autre. Ce ne sont pas des arbustes taillés en tables régulières, mais de vieux arbres sauvages, parfois plusieurs fois centenaires, dressés jusqu’à dix mètres de hauteur.
On les appelle souvent les Tuyet San, les “thés des neiges”. Leur silhouette se découpe sur la chaîne de Hoang Lien Son, prolongement oriental de l’Himalaya. Les sommets sont couverts de nuages une grande partie de l’année, les troncs se parent de mousses et de lichens, et les feuilles grandissent lentement, nourries par un air froid, humide, et un sol pauvre mais vivant.
De ces arbres naissent quelques crus devenus des noms à part entière : Ta Xua, Lung Phin, Ha Giang. Trois visages d’une même famille : celle des grands thés de montagne du Nord-Vietnam.
Un terroir de brume, de mousse et de lenteur

Dans cette région nord-ouest du Vietnam, la culture du thé ne ressemble pas à la monoculture intensive que l’on voit parfois ailleurs. Ici :
les théiers poussent naturellement, sans fertilisants chimiques ni pesticides,
les arbres sont anciens, enracinés depuis des décennies, parfois des siècles,
les feuilles sont récoltées à la main, souvent en grimpant dans l’arbre,
les villages vivent au rythme d’une cueillette lente, exigeante, liée aux saisons et au climat.
Les épais nuages qui recouvrent ces montagnes presque toute l’année jouent un rôle décisif : ils filtrent la lumière, ralentissent la photosynthèse, et obligent la plante à concentrer ses ressources dans chaque feuille. Résultat : des thés de grande densité aromatique, capables de tenir de nombreuses infusions et de raconter réellement un lieu.
Ta Xua – Le versant aérien
Ta Xua est sans doute le plus “céleste” des trois. Situé sur des crêtes souvent noyées dans la brume, il donne des thés :
au profil aérien,
avec des notes de fleurs de montagne, d’herbes hautes,
un miel clair, presque de fleurs sauvages,
une minéralité fine, comme un fil de roche sous la tasse.
Ce sont des thés qui évoquent le vent sur les crêtes, les nuages qui passent à hauteur de visage, les petits villages accrochés aux pentes. Un style pour ceux qui aiment les thés lumineux, tendus, avec un côté “ciel”.
Lung Phin – La forêt profonde
Lung Phin, lui, regarde davantage vers la forêt :
la tasse est plus dense, plus terrienne,
les arômes tirent vers le bois doux, la terre humide,
les fruits secs (figue, raisin, prune) apparaissent souvent,
une touche résineuse, presque balsamique, vient se glisser en filigrane.
On y retrouve l’atmosphère d’un sous-bois : troncs couverts de mousse, chemins après la pluie, silence épais. C’est un thé qui rassure, enveloppe, et que l’on boit volontiers en fin de journée, quand on a besoin de quelque chose de profond sans être lourd.
Ha Giang – La voix des vieux arbres Tuyet San
Avec Ha Giang, on entre dans un registre encore plus marqué par la présence des Tuyet San, ces vieux théiers sauvageons pouvant atteindre 10 mètres de haut, enracinés autour de 1 500 m d’altitude.
Les feuilles donnent :
une liqueur miellée,
des notes de bois noble, de fleurs de montagne et d’herbes aromatiques,
parfois une nuance résineuse ou camphrée, qui apporte fraîcheur et verticalité,
une longueur en bouche inhabituelle, qui fait partie de la signature des vieux arbres.
C’est un thé qui donne la sensation très particulière de boire un arbre entier : le tronc, les branches, la sève, le paysage autour.
Pourquoi ces thés fascinent autant
Ces thés ne séduisent pas seulement par le récit des vieux arbres. Ce qui les rend à part :
c’est leur structure : large, ample, avec un milieu de bouche plein et une finale qui s’étire longtemps,
c’est leur complexité naturelle, qui ne tient pas à un parfum ajouté, mais à l’âge de l’arbre, à l’altitude, au climat,
c’est leur sincérité : on sent la montagne, le froid, la brume, le geste des cueilleurs.
Ce sont des thés qui ne se “boivent” pas simplement : ils se prennent le temps. Ils s’infusent plusieurs fois, se découvrent couche après couche. Ils plaisent beaucoup aux amateurs de Pu Erh de vieux arbres, de grands thés du Yunnan, et à tous ceux qui cherchent une tasse avec une vraie vibration de terroir.
Comment les déguster
Quelques pistes pour en profiter pleinement :
utiliser une eau de bonne qualité, faiblement minéralisée,
éviter les températures trop basses : ces thés supportent bien 85–90 °C,
prévoir plusieurs infusions sur les mêmes feuilles – c’est presque un gâchis de ne faire qu’une seule passe,
les accompagner, si besoin, de mets simples : un morceau de pain au levain, quelques amandes nature, un biscuit très peu sucré.
Et surtout : accepter que la tasse change d’une infusion à l’autre. La première montrera souvent la structure, la deuxième les fleurs ou les fruits, la troisième la minéralité, la fraîcheur.
En guise de conclusion
Les thés de Ta Xua, Lung Phin, Ha Giang ne sont pas des curiosités à cocher sur une liste, mais des rencontres : avec un arbre, un climat, un geste paysan, un bout d’Himalaya oriental.
Dans une époque où beaucoup de thés sont standardisés, ces thés de vieux arbres rappellent qu’une feuille de thé peut encore être quelque chose de unique, situé, vivant.
Et lorsqu’on tombe sur un Ha Giang qui vibre particulièrement bien ce jour-là, on a un peu l’impression, le temps d’une tasse, de boire la brume elle-même.
N.L.L.




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